J’ai confiance en mon chemin de fer

13 mai 2014 Par hugfon
Menelik

Coll. H FONTAINE

Je commence ici une nouvelle série consacrée aux représentations des souverains éthiopiens, qui ont abondé en Europe entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle : images et caricatures publiées dans la presse, cartes postales, chromos…

Sur cette carte, une photographie d’un moulage en plasticine de Ménélik II posé devant une toile peinte de studio le montre entouré de trois symboles : une croix (la foi), un lion (la force) et le chemin de fer, élevé donc au rang d’attribut du souverain.

L’image du roi est probablement inspirée d’une photographie parue dans la presse, peut-être Le Pèlerin du 14 février 1909. On y voit Ménélik « en grand costume », entouré du ras Michaël et de « son petit-fils et héritier », Lij Yassou.

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À moins que l’artiste ne se soit inspiré d’une des photographies prises par Alfred Ilg à la fin du XIXsiècle sur lesquelles Ménélik porte la cape royale (kabba lanqa) et une coiffe en crinière de lion (anfarro).

Elisabeth Biasio, dans son excellent ouvrage Prunk und Pracht am Hofe Menilek, Verl. NZZ, Zürich, 2004, précise que, selon Konrad Keller (Alfred Ilg, sein Leben und sein Wirken als schweizerischer Kulturbote in Abessinien, Huber, Frauenfeld, 1918, p. 105), cette série de photographies auraient été prises en 1896 après la bataille d’Adoua1.

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Couverture du livre d’E Biasio avec la photographie de Ilg. Inv. 805.01.002

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Elisabeth Biasio, « Prunk und Pracht am Hofe Menilek », p. 54. Inv. 805.01.001

Une de ces photographies, diffusée par l’agence Chusseau-Flaviens, dont nous avons déjà parlé, avait probablement paru dans la presse illustrée de l’époque.

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Photo créditée Charles Chusseau-Flaviens/George Eastman House/Getty Images.

C’est donc l’image d’un souverain africain, vainqueur des armées du roi d’Italie, avec lequel les puissances européennes ont appris à compter, qui sert de référence à ce moulage. La croix rappelle que le royaume d’Éthiopie est chrétien de longue date ; le lion2, emblème de la royauté éthiopienne (Ménélik II prétend descendre du roi Salomon et de la Reine de Saba), est ici donné comme symbole de force ; le chemin de fer, au pied du roi, constitue le troisième pilier sur lequel s’appuie l’empereur3.

Au sujet des représentations photographiques de Ménélik II, je rappelle l’ouvrage d’Estelle Sohier : Le roi des rois et la photographie, paru en décembre 2012 aux Publications de la Sorbonne (ISBN : 978-2-85944-717-5). Cet ouvrage que j’avais déjà signalé ici et ici, issu de sa thèse de doctorat, est une référence pour qui s’intéresse aux questions de la représentation pour cette période et dans cette région, et notamment dans le contexte de la confrontation du pouvoir politique éthiopien avec les puissances coloniales de l’époque. Sa thèse a fait également l’objet d’un article de recherche dans L’Histoire (373, mars 2012) et d’une émission de La Fabrique de l’histoire sur France culture (février 2012).

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Autre élément de curiosité : La carte est signée Walery – Paris. Elle porte aussi une marque : ELD. Nous en parlerons bientôt dans un prochain billet.

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Notes :

  1. On pense au tableau de Paul Buffet (salon de 1898) popularisé par Le Petit journal illustré (N° 406 du 28/08/1898). Le Négus Ménélik à la bataille d’Adoua.
  2. Apocalypse 5.5 – Et l’un des anciens me dit : Ne pleure point : voici, il a vaincu, le lion de la tribu de Juda, la racine de David, pour ouvrir le livre et ses sept sceaux.
  3. Sahle Maryam est couronné Negusse Negest d’Éthiopie le 3 novembre 1889 sous le nom de Ménélik II avec les titres de Roi des Rois d’Éthiopie, Lion Conquérant de la Tribu de Juda, Élu de Dieu. 

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À suivre.