Marguerite Beaujean

14 février 2013 Par hugfon
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Boîtes de plaques de verre photographiques. Coll. JC COURTE

 

La recherche de documents pour retracer l’histoire du chemin de fer Djibouti – Addis Abeba, en contrepoint de mes propres photographies des cheminots et des machines de l’atelier ferroviaire de Diré-Daoua, a été une des parties les plus passionnantes du travail de préparation de Un Train en Afrique. La découverte de plusieurs corpus, survenue au moment où je pensais boucler la rédaction des chapitres historiques, est d’ailleurs venue bouleverser la structure initiale du livre.

Parmi ces ensembles exceptionnels de photographies, celles d’Alexandre Marchand sont sans conteste les plus extraordinaires et l’histoire de leur découverte mérite à elle seule d’être racontée. (Je ne remercierai jamais assez Gérard Denis qui, en refusant de collaborer au projet du livre, m’a lancé dans cette enquête iconographique passionnante qui a profondément déterminé le contenu et la composition finale du livre !)

À Frejus donc, Jean-Pierre Crozet, auteur d’un site Internet sur le franco-ethiopien, me signale l’existence sur Fotopedia (une sorte de version contemporaine et numérique du projet d’Albert Kahn des Archives de la Planète) d’un album consacré à l’Abyssinie au tournant du siècle dernier. Son auteur, Jean-Christophe Courte, a numérisé et mis en ligne un ensemble de plaques photographiques en verre réalisées dans les années 1900 / 1910 par Alexandre Marchand dans le Yunnan, au Japon, en Côte française des Somalis (Djibouti aujourd’hui) et en Abyssinie (Éthiopie actuelle). Alexandre Marchand, écrit-il, « a été l’un des ingénieurs français qui s’est occupé de préparer l’infrastructure pour le chemin de fer en construction à l’époque (entre 1897 et 1917)… » Alexandre Marchand qu’il ne faut pas confondre avec Jean-Baptiste Marchand, qui s’est illustré dans l’aventure de Fachoda (juillet 1898). 

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Contacté, Jean-Christophe Courte m’apprend qu’il a cédé ces plaques à Yvon Vélot, un passionné de la ligne de chemin de fer du Yunnan, construite entre Lao-kai et Yunnanfu (l’actuelle Kunming  昆明), entre 1904 et 1910, lequel vit en Chine. L’essentiel de la collection des photographies d’Alexandre Marchand concerne en effet le Yunnan : portraits, scènes de rues, paysages… Sur cette image prise en Chine, il s’agit peut-être d’un autoportrait d’Alexandre.

Jean-Christophe et Yvon me racontent ce qu’ils savent d’Alexandre Marchand et de ses photographies et, comme si cela était pour eux la seule réponse évidente, m’accordent sans hésiter l’autorisation de reproduire dans le livre une sélection de photographies représentant Djibouti, Diré-Daoua et plusieurs stations sur la ligne. Merci Messieurs !

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Ligne de Djibouti–Diré-Daoua – Station de Aïcha (Buffet). Photographie Alexandre Marchand. Coll. Yvon Vélot

 

Qui donc alors est Marguerite Beaujean, titre de ce billet ?

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Marguerite et sa maman vers 1910. Coll. Jean-Christophe COURTE.

On la voit ici, photographiée en compagnie de sa mère, probablement par son père François Joseph Crucière, jeune ingénieur que la photographie passionne. François a un ami, lui aussi grand amateur de photographie, qui voyage et a vécu en Chine et en Abyssinie. Son nom : Alexandre Marchand.

Tous deux échangent une correspondance régulière. Alexandre envoie à François Crucière, qui habite 17 rue Bourgeois à Paris, des cartes postales. Celle-ci notamment, « au moment d’embarquer », depuis Dibouti le 9 juillet 1913, « avant d’avoir le plaisir d’échanger d’autres souvenirs amicaux, de vive voix ».

MARCHAND-Alexandre-Carte-postale-Djibouti-19130709-Verso-120515verso MARCHAND-Alexandre-Carte-postale-Djibouti-19130709-Recto-120515sEn 1914, avant de partir à la guerre, Alexandre confie à la femme de François ses précieuses plaques. Il ne reviendra pas. François non plus. Il sont morts tous deux « pour la France ». François, le 11 novembre 1914 à Lambartzyde en Belgique. Pour Alexandre, dont le nom est plus courant, il est plus difficile de savoir où il a été tué. Sur le site de la Mémoire des hommes, une douzaine de noms figurent.  Un Alexandre Marchand est tombé sur les champs de bataille de la Meuse, un autre dans la Marne. Un troisième à Neuville-Saint-Vaast, près d’Arras – pas très loin de l’endroit où je suis né. L’enquête ne fait que commencer. Il faudrait retrouver d’autres éléments : sa date, son lieu de naissance. Une trace dans les archives d’une des écoles qui forment au tournant du siècle les ingénieurs… Moins que la date et les circonstances de sa mort, c’est bien cela qu’il est intéressant de savoir : quel âge avait-il, quel fut son parcours, sa formation, son métier ? Pourquoi et comment est-il parti, comme un certain nombre de ses compagnons de l’époque, vers l’Indochine, l’Abyssinie ou les Mascareignes ?

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À la mort de sa mère au milieu du siècle dernier, Marguerite, épouse Beaujan, hérite de ce legs, qui dormira dans un placard de longues années. Peu de temps avant de disparaître à son tour (le vendredi 14 décembre 2007, à l’âge de 99 ans), Marguerite accède à la demande du mari d’une de ses petites-cousines, un homme curieux – curieux homme aussi, pense-t-elle – architecte, graphiste, un peu touche-à-tout, et qui s’intéresse à ces vieilles photos. Et c’est ainsi que Jean-Christophe entreprend de numériser les plaques d’Alexandre, de les mettre en ligne, qu’Yvon en découvre l’existence, puis moi-même, et que tous les trois nous faisons connaissance et agitons toutes sortes de questions et d’hypothèses sur leur remarquable auteur.

A suivre…

P.-S. A lire, le billet posté par Jean-Christophe Courte sur son blog à propos de Un Train en Afrique. Merci !