Un vieil album oublié dans un placard

1 juillet 2014 Par hugfon

par Stéphanie Braquehais

Plusieurs amis et fidèles du blog collaborent régulièrement par des envois de documents, des informations, des commentaires… Les lecteurs connaissent leur nom : Serge Magallon, Francis Falceto, Ulf Lindahl, Estelle Sohier, Yvon Velot, Éloi Ficquet, Yves-Marie Stranger, Vincent Defait… Jacques Weerts m’a communiqué des mémoires inédites de son père, Maurice Weerts, dont j’ai publié un extrait (le chapitre 12). Catherine Paoli, fille de Jacques Auriol, m’a confié des documents photographiques exceptionnels.

Aujourd’hui Stéphanie Braquehais est notre invitée. Correspondante de RFI, basée à Nairobi, Stéphanie a engagé un projet de roman à partir d’éléments biographiques. Elle rentre d’un voyage en Éthiopie, inspiré des souvenirs de sa grand-mère qui y vécut dans les années 1920. Je l’ai rencontrée lors d’un passage à Paris : elle cherchait à savoir ce qu’elle pourrait retrouver à Djibouti, à Diré-Daoua, des lieux que sa grand-mère a habités. Elle me parla d’un album de photographies.

Un vieil album oublié dans un placard

Djibouti maison du directeur 72

La maison du Directeur à Djibouti.

Cela faisait quatre jours que je l’enregistrais. Je tentais de suivre la chronologie. D’abord les années 20, 30, puis 40. Effort réduit à néant par ma grand-mère qui procède par association d’idées imprévisibles. Un nom de famille, un lieu, d’une guerre à l’autre. Tu veux encore du thé ?

Je venais d’éteindre l’appareil, la laissant voguer dans sa mémoire pour dénicher des détails du passé. Petite, j’avais déjà entendu la plupart de ces histoires. Sa vie à Diré-Daoua en Éthiopie en 1926 quand elle était âgée de deux ans. Djibouti en 1936. On leur avait offert une autruche qui mangeait les balles de tennis. Un guépard à la langue si râpeuse que le « boy » [sic] lui avait dit d’éviter de se faire lécher la main, car il lui arracherait la peau. Un exotisme qu’enfant, je ne situais ni en termes d’espace ni en termes de temps et qui me semblait plus proche du dessin animé Le roi Lion que d’une quelconque réalité. J’avais vu quelques photos avec de vagues aïeux portant des casques de pompier sur la tête. Le casque du colon. Je n’avais rien retenu des raisons de ces séjours en Afrique. Je voulais mettre ça au clair.

Son père, mon arrière-grand-père, avait été le directeur d’exploitation du chemin de fer franco-éthiopien. Maxime Rousset. Les dates restaient floues, car elle puisait dans sa mémoire de fillette. Années 20-30, dans ces eaux-là.

J’en étais donc au dernier jour d’entretien avec ma grand-mère, âgée de 90 ans, qui a une mémoire d’éléphant et un don pour raconter les histoires, quitte à les dramatiser pour satisfaire un public déjà conquis (en l’occurrence, moi). Et puis, elle me dit. Il y a ces photos. Oh, je ne sais plus où elles sont. Peut-être dans le placard en haut à droite là-bas, jette un coup d’œil. Je m’emparai d’un fauteuil, montai dessus et commençai à écarter les piles de photos de famille. Baptêmes, mariages, communions de je ne sais quel cousine, oncle, grand-tante. Sans intérêt. Ou peut-être en prendraient-elles dans une centaine d’années.

Album-couverture

Couverture de l’album commémoratif de l’inauguration de la gare d’Addis Abeba.

Je finis par découvrir une couverture en cuir sur laquelle était inscrit « inauguration de la gare d’Addis Abeba, 3 décembre 1929 ». Les clichés en noir et blanc montraient le Palais du gouvernement à Djibouti, une mosquée ou encore un marché. Je grinçai des dents en découvrant certaines légendes typiques du langage de l’époque : « indigène à l’arrêt du train ». Je découvrai des photos datant de la fin du XIXe siècle, prises au moment de la mission Bonchamps. Cette folle échappée à travers l’Abyssinie et le Soudan pour rejoindre Marchand qui voulait s’emparer de Fachoda avant les Britanniques, Charles Michel 1 y avait participé. Même s’il avait dû rebrousser chemin avant d’arriver à destination, il en avait tiré un livre à 25 exemplaires en 1900 et vendu à vingt francs l’unité. (J’en ai, depuis, acheté un exemplaire sur Internet).

Sur la voie du chemin de fer franco-éthiopien_72

Doc Ethiopie

Je demandai alors à ma grand-mère comment un tel trésor s’était retrouvé là. Charles Michel était le patron de papa, me dit-elle. Il était un ami de la famille, nous le recevions très souvent. Il avait donné cet album à mon père en guise de cadeau, je suppose. Nous avions beaucoup plus de photos, mais tout a été perdu dans le déménagement il y a quelques années.

Cet album était donc un rescapé de ce passé familial qu’elle m’avait laissé entrevoir.

Stéphanie Braquehais

Toutes les photographies reproduites ici font partie de la collection de la famille Rousset.

  1. Après son mariage, Charles Michel ajoute à son nom celui de son épouse, Côte. « À l’orée du XXe siècle, Michel, issu de la haute bourgeoisie catholique de province, tourne la page aventureuse de son existence. Ses soutiens familiaux lui garantissent le poste de directeur de la Compagnie des forges et aciéries de Firminy et Roche-la-Molière. Par ailleurs, il épouse une jeune héritière de la famille Côte, très connue dans la bonne bourgeoisie lyonnaise – c’est alors qu’il rajoute Côte à son patronyme. » Colette Dubois, « Charles Michel-Côte et la construction de l’espace économique de Djibouti-ville durant la première moitié du XXe siècle ».