D’emblée vous sortiriez du rang des débutants

28 mars 2014 Par hugfon
bnf_societe_de_geographie

Une conférence à la Société de géographie de Paris • 1885
P. Lackerbauer (dessin)
Gravure, 11,3 x 16 cm
© BnF, département des Cartes et Plans, Société de géographie, Sg Ms. In 8° 77

Rien ne change ! Le 4 octobre 1887, la Société de géographie, par la plume de son Secrétaire général, M. Maunoir, répond à la demande de Rimbaud qui cherchait à réaliser son projet d’enquête sur les Gallas du Harar (voir ce billet). Toujours le fameux argument du « régime d’économies », ce qui n’empêche pas au passage d’essayer de gratter du travail bénévole et des informations.

Monsieur,

En réponse à votre lettre du 26 août, la Société de Géographie me charge de vous informer qu’il ne lui est pas possible, quant à présent, de répondre favorablement au désir que vous exprimez. Peut-être auriez-vous quelque chance de succès en adressant une demande de mission au Ministère de l’instruction publique. Cette demande serait renvoyée à la Commission des missions et voyages, qui en donnerait son avis à l’administration. Je ne dois pas vous dissimuler, cependant, que le fonds attribué aux missions a subi les conséquences du régime d’économies auquel sont soumis les ministères depuis quelques mois. Il est à craindre que — votre voyage n’intéressant pas directement un pays français, la politique française, — la somme demandée dans votre lettre ne paraisse trop élevée. En tout cas, vous feriez bien de rédiger les notes ou les souvenirs que vous avez recueillis sur les races bédouines ou agricoles, leurs routes et la topographie de leurs régions. Soyez persuadé qu’un mémoire à ce sujet, s’il renferme des faits nouveaux, des indications utiles, des notions précises, serait la meilleure des recommandations dans le cas ou vous croiriez devoir adresser au ministère une demande de mission. D’emblée, en effet, vous sortiriez du rang des débutants, et le rapporteur, auquel la Commission des missions renverrait votre demande, aurait un point d’appui. Si vous pensiez devoir adopter cette manière de faire, je me mettrais à votre disposition pour rechercher les moyens d’assurer la publication de votre mémoire, afin de le bien faire connaître. Il serait bon que le travail fût accompagné d’un croquis donnant vos itinéraires. Le pays que vous songez à parcourir est très redoutable pour les Européens, même dans les conditions particulièrement favorables où vous vous trouvez. La Commission se montrera donc d’autant moins réfractaire qu’elle sera mieux à même d’apprécier votre travail antérieur, les résultats de vos premiers voyages. Je viens de recevoir de M. A. Bardey une lettre dans laquelle il donne des extraits intéressants de votre journal de route du Choa à Zeilah. Ces extraits vont être publiés au Bulletin de la Société de Géographie, dont fait partie M. Bardey. Croyez bien, Monsieur, que les objections présentées ci-dessus ne sont point des fins de non recevoir. Je serais, dans la limite de mes moyens, très disposé à vous aider, — mais je ne suis pas seul, et il importe de décider dans un sens favorable tous ceux qui ont voix au chapitre. J’ai causé de vos projets avec mon ami, M. Duveyrier, spécialiste en choses d’Afrique, et je crois que lui aussi sera bien disposé en votre faveur. Il m’a chargé de vous demander si l’abba Moudda est un marabout musulman, et quelle confrérie représente le scheik Hoséin, ainsi que l’abba Moudda, si ce dernier est musulman. Veuillez agréer, Monsieur, avec mes regrets de ne pouvoir de suite répondre favorablement à votre désir, l’expression de mes sentiments les plus distingués.

C. MAUNOIR,

Secrétaire général. 

Le texte de cette lettre est reproduit dans l’article de Giovanni Dotoli, « Rimbaud photographe africain », texte de sa contribution au colloque Les Afriques de Rimbaud organisé par David Ellison et Ralph Heyndels, avec l’aide de Paulette Hacker, au Musée d’Art Lowe de l’Université de Miami en novembre 2004.