Point d’orgue

11 octobre 2013 Par hugfon

Rhino 0

Le Rhinocéros express à l’arrêt dans une petite station du désert abyssin1.

Le mécanicien accroupi devant les roues de la machine, à demi dissimulé par les jets de vapeur, graisse les bielles et les cylindres. Un groupe d’hommes observent le spectacle du train à l’arrêt. Trois d’entre eux regardent vers le photographe, révélant ainsi sa présence et faisant de lui (aussi) le sujet de la photographie, au même titre que la locomotive, selon une symétrie qu’ordonne l’axe de la voie, véritable ligne de fuite de la composition. Le cadrage est soigné (branches et ombre de l’arbre, bâtiment au fond), rythmé surtout par la distribution des hommes autour de la machine. On attend, les mains derrière le dos. Le temps est suspendu, jusqu’au départ. Scandé par le halètement de la machine. Un temps indéfini. Avez-vous déjà remarqué combien, sur le quai d’une gare, une petite gare de préférence, la présence d’un train règle le temps qui passe ? Plus rien d’autre ne semble exister. Jusqu’au moment où la locomotive s’ébranle et redonne au temps sa liberté, celle de reprendre son rythme d’avant.

Un homme grimpe dans l’abri. C’est le moment que saisit l’opérateur pour déclencher son appareil et fixer à jamais cet instantané qui désormais peut durer, tel un point d’orgue, à la convenance du spectateur, le temps qu’il voudra. Le temps de l’arrêt du Rhinocéros express dans une petite station du désert abyssin.

Rhino 1

Sur une deuxième photographie — un plan rapproché de la locomotive qui permet de lire son nom2 sur la plaque en bronze vissée à la chaudière —, le mécanicien, burette à la main, graisse l’embiellage. Le corps légèrement penché, le regard concentré sur son travail, la main gauche immobile, il exécute son geste avec soin, car il en va de la santé de sa Rhinocéros.

  1. C’est la légende que l’on trouve sous la photographie publiée dans l’ouvrage déjà mentionné Das ist Abessinien. L’Abyssinie telle qu’elle est (Wilhelm Goldmann Verlag, 1935).
  2. inscrit en amharique (aouraris) et en français