Poubelles, lieux de mémoire
5 novembre 2014C’est Marie-José Tubiana qui me fait aujourd’hui le grand plaisir de publier sur ce blog deux photographies dont elle m’avait signalé l’existence. « J’ai quelques images, m’avait-elle dit, qui ne manqueront pas de vous intéresser et dont vous pourriez peut-être m’aider à identifier le contenu ». Les circonstances de leur découverte sont insolites. Leur auteur est inconnu. Les photographies sont des positifs sur verre montés (pour être projetés) avec un verre de protection collé au moyen d’une bande de papier noir. Leur format : 10 x 8,4 cm ; celui de l’ image : 8 x 6 cm. La plupart sont légendées sur une bande de papier collé. Il existe sur beaucoup d’entre elles en haut à gauche une pastille de papier ronde portant ou non une croix.
Les voici donc avec le texte que Marie-José leur consacre. Je les rapproche ensuite de deux photographies prises à la même époque sur le tronçon Djibouti Diré-Daoua. La première fait partie de la collection des cartes postales publiées par Arnold Holtz vers 1909, la deuxième des photographies prises par Alexandre Marchand (entre 1911 et 1913), dont il a beaucoup été question sur le blog.
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Poubelles, lieux de mémoire
par Marie-José Tubiana
Sophia-Antipolis 1982. Un ami, passant par hasard devant le Musée de La Castre, situé au Suquet, sur les hauteurs du vieux Cannes, découvre, à côté des poubelles, deux boites en bois contenant des plaques photographiques portant de courtes légendes avec la mention « Éthiopie ». Ce musée, installé dans les vestiges du château médiéval des moines de Lérins, contient les collections léguées à la ville par le baron Lycklama en 1877. Elles sont, nous dit sa notice, « le reflet du goût d’un amateur éclairé pour les antiquités, l’orientalisme et, à travers l’ethnographie et l’art primitif, le cosmopolitisme et le voyage ».
« Tiens, tiens, se dit notre ami, découvrant ces boites, c’est bon pour Tubiana et son Centre de recherche sur l’Afrique orientale ! »
Voilà comment nous sommes entrés en possession d’environ deux cents plaques photographiques. Quelques-unes, une cinquantaine, ont été scannées, photographiées, tirées au format 30×40 et joliment encadrées par un ami photographe, Alkis Voliotis, demeurant à Antibes. Elles devaient donner lieu à une exposition toujours en devenir. Les tirages sont stockés à mon domicile.
D’autres (soixante-treize) sont restées en l’état de plaques photographiques que je compte donner au Musée français de la photographie de Bièvres. Parmi elles, deux ont spécialement retenu mon attention, l’une par son esthétisme et l’autre par son côté insolite. Ce sont les numéros 4 et 30. Elles portent la mention « Le chemin de fer franco-éthiopien ». Dans le même lot, une seule date est indiquée : 1904 avec une photo de groupe prise à la Légation de France à l’occasion du 14 juillet.
Sur la première photo, le train est arrêté dans une gare, sans doute à Diré-Daoua, puisqu’à cette époque le train n’allait pas encore jusqu’à Addis Abeba. Qui est ce personnage debout sur la troisième marche dans l’ouverture de la porte ? Coiffé d’une chéchia surmontée d’un plumet, un parapluie à la main, les jambes enserrées de molletières, mais pieds nus, il semble à l’aise, fier de son importance. Aucune apparition de ce personnage dans l’énorme corpus photographique (Un train en Afrique. Djibouti-Éthiopie, Cfee-Shama Books, 2012) rassemblé par Hugues Fontaine.
Il me semble être un agent du chemin de fer : receveur ? contrôleur ? chef de train ? avec un carnet ou un papier qui dépasse de sa poche gauche, un sac en bandoulière et son parapluie rayé pour abriter éventuellement le voyageur ? L’homme qui fait ses adieux à quelqu’un déjà installé dans le wagon, ou qui lui confie un dernier message, a belle allure avec le vent qui fait voler son shamma.
La deuxième photo est totalement insolite. La légende porte « chemin de fer éthiopien. Table Louis XV posée sur le sable du désert dankali ». On aperçoit à gauche un wagon et la voie qui se dirige vers l’horizon. Au centre un rail interrompu et une caisse éventrée : elle contenait peut-être la table Louis XV que l’on voit posée sur le sable et qui ne semble pas avoir souffert du déraillement éventuel, des madriers en tas, dans le lointain une natte et sur le devant de la scène un vérin, utilisé pour soulever les wagons qui ont déraillé. Est-ce le chargement d’un « expatrié » (l’expression n’est pas encore employée) qui déménage ses meubles dans sa future demeure éthiopienne ? Est-ce la table d’un haut personnage qui viendra quelques minutes plus tard prendre le thé dans de la porcelaine anglaise ! ? Qui sont les deux personnes marchant à côté de la caisse, l’une semble africaine, sans doute un cheminot et l’autre européenne, coiffée d’un chapeau, est peut-être le propriétaire de la caisse éventrée ? J’ai beaucoup aimé cette photo propice à toutes les suppositions.
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Bonjour Hugues,
Quel chance que certaines personnes curieuses de nature s’intéressent à des objets destinés à la poubelle. Cela aurait été bien dommage que ces plaques disparaissent !
Il n’y avait pas tant de photographes à cette époque dans la région, et le rapprochement entre ces différentes photos et celles que vous avez publiées montrent bien des similitudes.
Quand à la photo de la table sur le bord de la voie elle est totalement insolite et extraordinaire.
Amitiés,
Catherine
bonjour Catherine, tous ces instantanés sont des chemins de fiction. L’image de la table Louis XV est particulièrement exemplaire. Les correspondances entres ces trois photographies du wagon de la « classe indigène » sont en effet étonnantes. H
le personnage de la première photographie ressemble étrangement à un ascari érythréen. Se pourrait-il qu’il accompagne un officiel italien ? Après la défaite d’Adoua le 1er mars 1896 de longues tractations entre les puissances coloniales voisines (Italie Angleterre France) et l’Ethiopie ont lieu. Elles seront finalisées avec le traité de Londres en 1906 par la reconnaissance de l’Ethiopie et de ses frontières
Merci, cher Serge, pour cette proposition. M’étonne assez l’ombrelle qu’il tient à la main.