Künzli Frères à Zurich
24 avril 2015J’avais publié ici cette carte représentant la maison qu’occupait Alfred Ilg quand il habitait Entotto.
Heribert Küng reproduit une autre photographie de cette maison dans son livre Staatsminister Alfred Ilg (1854-1916): Ein Thurgauer am Hof Kaiser Meneliks II von Athiopien. Il la présente lui aussi comme une carte postale, sans toutefois préciser si l’éditeur est Künzli Frères à Zurich.
La même image se trouve dans la biographie d’Ilg par Conrad Keller (p. 41), qui montre que celle du livre de Küng est inversée :
J’ai découvert deux autres cartes éditées par la maison Künzli de la série Abessinien. Elles sont légendées : Aliu-Amba, bedeutender Markplatz in Schoa,
et Ankober (Nordseite).
Elles portent respectivement les numéros 2240 et 2237 (celle de la maison d’Ilg porte le numéro 2241). Ce qui laisse entendre qu’il en existe quelques autres (au moins une autre vue d’Ankober).
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Ajout par Serge Magallon de la 2242 ce matin, après la publication du billet :
Envoi ce soir par Francis Falceto de la 2243 (Francis, qui me signale aussi un livre pour enfants dont une page combine un paysage d’Abyssinie qui a des airs de Suisse avec le portrait de Ménélik II assis sur un trône avec une dépouille de lion, appartenant au fonds Ilg, et le portrait bien connu d’Alfred Ilg en pied – je mets cela dans les commentaires).
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On lit dans Notrehistoire.ch : « L’éditeur Künzli Frères & Co est certainement l’une des plus grandes maisons d’édition pionnières dans la production de cartes postales. Son activité a démarré vers 1874. En 1896 ou 1897, Carl Künzli Frères s’installe éditeur à Zürich, mais possède aussi un atelier au 17 rue Richer à Paris. En 1909 l’éditeur à pignon sur rue au 11 et 13 rue du Sentier, toujours à Paris. Dès 1898 les cartes Künzli sont diffusées dans toute l’Europe. »
Dans le fameux article d’Henry Audon publié dans Le Tour du Monde en 1889, 2e semestre, Paris, Librairie L. Hachette et Cie, on retrouve ces mêmes images : la maison de Ilg, comme je l’avais déjà signalé ici,
On y trouve aussi deux gravures d’Ankober (voir Künzli 2243) :
et les environs de Farré.
Et enfin une gravure représentant la maison d’Appenzeller à Entotto (cette image existe aussi en carte postale – voir en commentaire) :
On peut espérer trouver ces photographies dans la série numérotée chez Künzli et mieux encore, si l’on parvenait à explorer les archives de cette maison, les photographies originales, plaques de verre ou tirages, qui ont servi à l’impression des cartes postales. On peut nourrir le même espoir dans les archives d’Hachette parmi le matériel qui a servi à réaliser les gravures.
Toutes les photographies à partir desquelles ont été réalisées les gravures sont créditées Léon Chefneux.
Un bagage photographique, comme le nommait Rimbaud, était à l’époque fort coûteux et les voyageurs qui emportaient un tel équipement espéraient naturellement en tirer profit. Chefneux, accompagnant Soleillet, Labattut et le Docteur Alfieri en 1882, puis Audon en 1884-85, n´échappe pas à la règle. La reproduction de ces photographies dans Le Tour du Monde ou sous forme de cartes postales indique au moins deux formes d’exploitation commerciale que Chefneux est parvenu à trouver pour ses clichés. Il faudrait disposer des archives commerciales de ces deux entreprises pour savoir à quelles conditions il a pu céder les droits d’exploitation de ses images, comme on dirait aujourd’hui. On connaîtrait aussi mieux son activité de photographe.
“21 octobre [1882]. — Mon compagon, M. Léon Chefneux, possède un appareil photographique. Nous partons dès le matin, en quête de types et de vues. Les habitants sont fort intrigués et quelques incidents comiques se produisent.” (Paul Soleillet, Obok — Le Choa — Le Kaffa. Récit d’une exploration commerciale en Éthiopie. Maurice Dreyfous, Paris, 1886.)
Ajout du 28 mai : Les archives de la société KFZ auraient été détruites lors de sa disparition en 1976 (source). Des recherches menées à la Bibliothèque nationale suisse à Berne et à la Zentralbibliothek Zürich qui conservent quelques archives de l’éditeur de cartes postales n’ont pas permis de retrouver d’images de la série Abessinien. La recherche s’oriente vers d’autres sources (collections privées notamment).
Hugues tu arrives à me surprendre à chaque nouvel article
simples ajouts cette fois
la carte n° 2242 se nomme Aussicht gegen Hochplateau von Aliu Amba aus (Schoa).
Plus tard le Père Joseph Baeteman a lui aussi photographié Ankober. IL y a bien peu de différences comme sur la gravure de Soleillet et Chefneux que je possède aussi.
Merci Serge pour cette précieuse précision au sujet de la 2242. Je l’ajoute au billet.
J’ajoute ici la photo du Père Baeteman. Sais-tu ce qu’indiquent les croix à l’encre ?
la carte postale ne comporte aucune remarque quant aux significations des croix.
Mais Joseph Baeteman dans son livre Le camouflet du Bon Dieu écrit sous la carte postale : La maison du chef est sur le somment du « pain de sucre ». On peut donc supposer que la croix la plus haute indique la maison du Dedjatch Méchécha, gouverneur d’Ankober.
Un peu plus loin, l’énorme pain de sucre sur lequel les maisons en chaume de la ville s’échelonnent, comme si elles voulaient escalader la côte.
superbe article , et merci serge pour ces precisions
Envoi de Francis (voir dans le texte du billet).
Francis m’a envoyé aussi cette image de mauvaise qualité (c’est pourquoi je ne la place pas dans le billet) mais elle montre que la gravure représentant la maison d’Apenzeller à Entotto existe bien aussi sous forme de carte postale chez Künzli. Je ne parviens pas à lire le numéro.
Il n’est pas, dans la biographie d’ILG en langue allemande, de précision quant au voyage effectué en Europe (Suisse) par ILG en 1882 (seule information page 51 -de mémoire).
Il y a de grandes chances que ce voyage se soit étalé sur un grand nombre de mois rendant peu aisée la rencontre, cette année là, à Entotto, d’ ILG et de CHEFNEUX (arrivé au printemps 1882 et reparti début novembre 1882). Mais ceci, à ce niveau d’imprécision, ne s’appelle pas une preuve. Il faudrait se renseigner in Schweiz à ce sujet.
La photo de la maison d’ILG reproduite dans le livre de KELLER est néanmoins bien intéressante car c’est la 3 ème du genre …et il me semble qu’une analyse expertissime des bananiers (j’y reviens) pourrait être de quelque utilité pour classer chronologiquement les 3 clichés (même taille, même saison, même année ? ). Deux de ces photos nous sont parvenues par ILG, la dernière est attribuée au duo des cousins. Il y a sans doute une conclusion à tirer.
Ah, JJL, tu nous manques !
Comme Léon Bloy, j’aime beaucoup les coïncidences. Celle-ci est double : je reçois votre commentaire dans le train qui me ramène de Zurich et, d’autre part, je vous signale la conférence du prof. Shigeta demain à Paris au sujet de l’ensete, le faux bananier éthiopien. Je vous répondrai sur le fond plus tard.
Conférence du professeur Masayoshi SHIGETA | CARNETS D’AFRIQUE ORIENTALE
http://aresae.hypotheses.org/51
À la fin de la conférence que donnait hier à l’EHESS le professeur Shigeta sur le sujet de l’ensete, faux-bananier, dont le tronc, râpé, permet de fabriquer une pâte qui, une fois fermentée, sert de base à l’alimentation des populations du sud de l’Éthiopie, je lui ai présenté les deux photographies du groupe des Européens devant la maison d’Ilg à Entotto et celle qui montre cette même maison probablement photographiée par Chefneux. Les feuillages des deux arbres qui encadrent les marches sur les deux photographies montrent bien une certaine similitude et, bien que la démonstration n’ait pas de valeur scientifique, on peut penser que les deux photographies ont été faites à la même époque. Les arbres sont arrivés à l’âge adulte. Tous les ans, de nouvelles feuilles poussent, remplaçant les plus anciennes, qui tombent. Ces arbres sont ici plantés à des fins décoratives. Toutefois, une photographie du fonds Ilg montre une plantation d’ensete dans le jardin de l’ingénieur qui laisse penser que ceux-là étaient cultivés pour nourrir probablement les employés de la maison, Ménélik ayant, par ses conquêtes dans le sud du pays, fait se déplacer vers les hautes terres des populations du sud habituées a consommer cette « herbe ». Bonne pioche, Circeto.
Concernant 1882, je crois peu vraisemblable l’hypothèse que le cliché ait été pris cette année-là mais il nous manque encore certaines informations pour résoudre cette question.
Jardineries,
Dans le jardin de ma grand-mère, le bananier gelait tous les hivers.
Ses feuilles jaunissaient, tombaient et de nouvelles feuilles apparaissaient au printemps.
J’aurais pensé que cette débâcle annuelle, totale, n’était propre qu’aux arbres égarés sous nos climats (tempérés) et qu’en Ethiopie, a contrario, les bananiers conservaient, plusieurs années de suite, leurs longues feuilles couturées de blessures, se renouvelant – à la manière des palmiers – par leur sommet.
N’est-ce donc point le cas ? Y-aurait-il, sous ces climats chauds, chaque année, renouvellement complet (pas partiel !) des feuilles ?
S’il en était ainsi, le nombre et l’emplacement des déchirures des feuilles différeraient d’une année à l’autre, permettant une datation relative des photos (même année, années différentes).
Circeto
Le bananier du jardin de votre grand-mère était bien robuste pour survivre à pareil déshabillage ! En Éthiopie — je ne peux que vous répéter les paroles du professeur Shigeta — certaines feuilles se fanent (probablement les plus anciennes) et d’autres les remplacent. Encore une fois rien de scientifique dans cette observation, mais il nous a semblé que la place des feuilles et les déchirures correspondaient assez largement entre les arbres des deux photographies.
Questions sans fond
Considérons donc que la photo de groupe du coin de marches est absolument contemporaine de la photo des duettistes CHEFNEUX-AUDON – donc date de 1885-1886 et a été prise par nos 2 cousins.
Pourquoi aurait-elle fini dans le fonds ILG ? Un remerciement pour l’hospitalité reçue au cours de ces années ?
Et comment procédait-on ?
Donnait-on la plaque, à charge pour le bénéficiaire de procéder au tirage ?
Ou tirait-on la photo (avec son prêt à l’emploi ambulant) et la remettait-on à l’hôte ?
Mais alors que devenait la plaque photo ? Pourquoi n’a-t-on pas trace d’un double de cette photo ?
La plaque était-elle abandonnée (et Savouré se faisait des vitres bon-marché avec), la ramenait-on au pays ?
Heribert Küng a reproduit dans son livre une carte postale (de la série des Frères Künzli à Zurich), qui n’est plus aujourd’hui en sa possession. Je ne sais pas quel document a utilisé l’éditeur de Conrad Keller : la carte ou peut-être un tirage photographique. Les cartes postales sont souvent faites de tirages ou de copies de tirages, selon leur qualité finale. Cette série numérotée Künzli est plutôt de belle qualité, ce qui me faisait espérer qu’on retrouve dans leurs archives les éléments de leur fabrication, c’est-à-dire des tirages des photos prises par Chefneux et Audon. Malheureusement, le fonds Künzli a été dispersé en 1976 quand la société a cessé ses activités et mes recherches à Zurich (et ailleurs) n’ont rien donné. Il faut espérer retrouver d’autres cartes. Ou bien un fonds d’archives Chefneux. D’autre part, ces deux photographies de la maison d’Ilg à Entotto ne font pas partie des photographies du fonds Ilg déposé au musée d’ethnographie de l’université de Zurich. Aucune autre photographie de la série Künzli non plus. Donc je ne peux rien dire de vos spéculations autour des plaques et tirages. Le risque est grand en effet pour les plaques photographiques en verre de disparaître cassées ou reconverties, en effet, mais le cas est singulier !, en vitres pour fenêtres. Il faut dire que sur les hautes terres d’Abyssinie, il peut faire à certaines époques de l’année bien froid et humide.
En somme, on peut compter Chefneux parmi les auteurs possibles du cliché fait devant la maison d’Ilg à Entotto. Ce tirage (vintage) appartenait à la famille Ilg. Comment Ilg l’a-t-il obtenu, je n’en sais rien. Il n’était toutefois pas dépositaire des photographies de Chefneux/Audon : nous aurions retrouvé d’autres photographies de cet ensemble publié dans Le Tour du Monde. Enfin, la période 1885/86 est en effet la plus vraisemblable.
PS : Les photographies Chefneux/Audon ne se retrouvent pas non plus dans le fonds Chusseau-Flaviens.
Il tucul di Alfred ILG
Hugues, j’ai foi en votre ténacité et en votre aptitude à franchir les Alpes, à la recherche de l’Abyssinie. Après la Suisse, je vous inviterai donc à mettre le cap sur l’Italie à la recherche d’une nouvelle (ou pas si nouvelle !) photo de la maison d’ILG à Entotto.
Il existe à Spilimbergo (entre Udine et Porderone), un centre de recherche et d’archivage de la photographie (le CRAF) qui possède dans ses collections cette précieuse photographie – ainsi qu’une autre représentant la maison d’APPENZELLER.
Ces photos sont attribuées – sans beaucoup de certitude il est vrai – au bon docteur TRAVERSI (sa localisation in Italia plaide de fait pour un photographe transalpin, or il n’y en a pas beaucoup d’autres que lui dont on connaisse des photos faites au Choa ces années la). Elles sont aussi datées hypothétiquement de l’année 1879. Sur ce point, nous savons que 1879 et TRAVERSI font assez peu bon ménage dans une reconstitution historique. TRAVERSI n’est, en effet, arrivé que fin 1885 au Choa.
Nous retomberions donc encore sur notre fameuse période 1885-1886 : années où les photographes semblent se bousculer autour de la maison d’ILG (les cousins CHEFNEUX-AUDON, HENON et maintenant TRAVERSI ?). Et pas un seul pour choper, en février 1887, le météore carolomachin en train de descendre de chameau ?!
Sont-ce des photos de TRAVERSI, sont-ce les photos réalisées par les cousins (car nous avons aussi dans le Tour de France une gravure de la maison d’APPENZELLER tirée d’une photo des duettistes) ?
Alors Hugues, Cap sur le CRAF ? A moi et mon italien défectueux, ils n’ont pas répondu. Je suis certain que vous saurez faire mieux.
Ah, oui, j’oubliais la référence :
» Quindi, le fotografie originali conservate nell’archivio del CRAF, tra cui i ritratti di David Livingstone della London Stereoscopic and Photographic Co. e di Henry Morton Stanley del sudafricano G.E.Bruton e la recente acquisizione di un nucleo di preziose albumine inedite del 1879 ca sull’Etiopia (probabilmente di Leopoldo Raffaele Traversi) che riprendono il tucul di Alfred Ilg, la “casa di Apenzeller” come la definì anche Gustavo Bianchi nel suo Alla terra dei Galla 1885 «
Merci, Circeto, pour cette piste. Que Traversi soit dans cette boucle n’a rien d’étonnant. Dans la presse italienne de l’époque, on lui attribue la fameuse photographie d’Hénon, vous vous souvenez : « Ménélik entouré de ses généraux », photo emblématique du jeune roi du Choa, martial, entouré de ses braves. Traversi avait sa maison à Entotto, toute proche de celle d’Ilg. J’ai une fiche dans mes cartons. Nous avions déjà évoqué le personnage, travesti en habits abyssins. Je ne connaissais pas l’existence du CRAF et vous remercie de me l’avoir signalé. Je vais tâcher d’en apprendre davantage sur ces « preziose albumine inedite del 1879 ca sull’Etiopia ». À suivre.